Sa kora rangée, «le griot électronique» tire sa révérence…
Mory Kanté s’est éteint le vendredi 22 mai à Conakry, à l’âge de 70 ans. Auteur, vers la fin des années 1980, de «Yéké Yéké», un tube planétaire alliant tradition mandingue et modernité occidentale, celui que la presse spécialisée mondiale surnomma «le griot électronique» aura largement contribué au rayonnement de la musique africaine au-delà des mers et océans. Dès l’annonce de sa mort, deux chefs d’États africains sont sortis de leur confinement imposé par la crise sanitaire, pour saluer en lui un digne fils du continent, un puissant ambassadeur de sa culture. Hommage.
Dans un hôpital de la capitale guinéenne, le cœur d’un célèbre patient a cessé définitivement de battre… Né le 29 mars 1950 à Albaderia, près de Kissidougou, en Guinée-Conakry, cet homme qui s’imposa comme l’un des artistes africains les mieux vendus au monde, meurt le 22 mai, des suites d’une longue maladie. Dès l’âge de sept ans, le petit Mory chante et joue du balafon aux côtés de son grand-père maternel, Djeli Mory Kamissoko alias Sanda, le fameux chef des griots du pays des Konté, ancêtres de Sogolon-la-laide, mère de l’empereur Soundjata. Mory Kanté restera éternellement fier de ce grand-père dont il est l’homonyme, et qui ne se déplaçait jamais sans une suite de soixante personnes, chanteurs et instrumentistes!
Mory Kanté tient en revanche son deuxième nom de son père, Djeli Fodé Kanté, chef des griots de Kissidougou. Celui-ci a soixante-sept ans, quand Mory est né, devenant du coup son trente-neuvième enfant. Comme les Kamissoko, les Kanté sont aussi originaires du Mali, de la région de Kayes. Aussi sont-ils des griots depuis des générations. Qui mieux qu’un descendant 100 pur sang des griots peut alors décrire la fonction du griot: «Djeli veut dire: le sang. C’est ainsi que l’on désigne souvent les griots. Nous sommes le sang d’une société, la société mandingue. Nous sommes responsables de sa survie. Nous sommes dans l’âme de chacun, puisque c’est nous qui disons aux gens qui ils sont!»
Bamako comme point de départ
Conscient de sa mission, Mory Kanté va à la conquête du monde, étape par étape… En 1964, il arrive à Bamako, chez l’une de ses tantes, griote de l’Ensemble national du Mali, dont les époux jumeaux le placent sur l’orbite de la musique populaire, comme le petit prodige de la guitare sur laquelle il excelle désormais! Il fait sensation jusqu’à devenir la star des «appolos», ces orchestres tradi-modernes. En 1971, Mory Kanté est repéré par le saxophoniste Tidiane Koné, fondateur du Rail Band, qui le recrute d’abord comme balafoniste… Puis, il joue un rôle non négligeable dans les arrangements! Il passe ensuite au chant, quand Salif Keita quitte le groupe, deux ans plus tard. Avec le Rail Band de Bamako, Mory Kanté fait chavirer toute l’Afrique de l’Ouest. En 1976, il est sacré «Voix d’Or» au Nigéria. Entretemps, il s’est mis assidûment à la kora… Une transgression de la tradition familiale qui voue un culte plutôt sacré au balafon.
1978… Cap sur Abidjan qui se veut, à l’époque, le labo de nouveaux sons sur le continent… Enclin à réinventer la kora, Mory Kanté y est donc à l’aise comme un poisson dans l’eau. Quand, en quête justement de nouvelles sonorités en Afrique après l’effet Soul Makossa outre-Atlantique, l’Afro-américain Gérard Chess, patron du label Ebony Records, descend sur les bords de la lagune Ebrié, assiste à une production de Mory Kanté, il décide sur-le-champ de le produire… Premier disque, «Courougnègnè», premier succès artistique, mais pas commercial, car il est copieusement piraté au Nigéria!
À Paris depuis fin 1984, Mory Kanté se révèle au grand public deux ans plus tard, à partir de sa collaboration avec David Sancious, guitariste de Bruce Springsteen, à travers «Ten Cola Nuts» (Barclay). Battle entre kora et claviers, sur fond de cuivres, salué par la presse comme un mélange réussi entre tradition africaine et modernité occidentale… Mory Kanté est désormais surnommé «le griot électronique», et se lance dans une longue tournée mondiale qui l’emmène au Nicaragua comme au Japon et en Australie!
Effet «Yéké Yéké»
C’est, en 1987, avec son nouvel album, «Akwaba Beach», que l’ancien musicien est au sommet de son art et de sa popularité partout dans le monde, grâce au titre, «Yéké Yéké», qui explose tous les hits-parades en Europe et en Amérique… A la clé, une Victoire de la musique du meilleur album francophone en France!Aux États-Unis, «Yéké Yéké» s’adjuge, pour tout le mois de juillet 1988, la première place du classement paneuropéen de Billboard Hot 100, toutes catégories musicales confondues, établi par le prestigieux magazine américain, Billboard.Mory Kanté compte alors parmi les artistes africains les plus vendus au monde jusqu’à la fin des années 1990! Ce statut sera renforcé plus tard par d’autres albums et tournées dans les plus grands festivals du monde…
Quelle ascension donc pour ce musicien qui, tout petit, est sorti du boubou des Kanté et des Kamissoko, à l’occasion des fêtes de quartier, pour faire connaître sa harpe traditionnelle à vingt-une cordes sous toutes les latitudes, avec sa voix puissante! Pour le président de la Guinée-Conakry, Alpha Condé, c’est «la culture africaine (qui) est en deuil»! Son homologue sénégalais, Macky Sall, regrette tout autant: «L’Afrique vient de perdre un de ses dignes fils.»